Rentrer sous la pluie, détrempée par le déluge. Dans le froid humide de l’hiver où la température chute d’heure en heure. Rester glacée sans y prendre garde. La colère envahit l’être à ne plus trop savoir comment contrôler cette révolte qui anime l’âme. Ruminer encore et encore, les pieds trempés par les flaques. Claquer des dents violemment, sans être capable de dénoncer les coupables : le froid et la pluie ou l'énervement et le dépit de l'instant ? Vouloir le repos, au moins pour un moment, sans même pouvoir y prétendre. Les mots qui semblent injustes, prononcés quelques heures plus tôt, résonnent encore dans la tête, tranchent le cœur comme un couteau. Bénir cette eau qui tombe du ciel, qui masque si bien ces larmes qui coulent rageusement malgré soi.
Alors on monte le son. Le baladeur est là pour ça après tout. Fichue playlist, ça aide pas, mais malgré tout, il reste juste à espérer que les notes de musique vont assourdir tout de cet émoi, tout cet effroi. Madagascar retentit à faire vibrer au plus fort les tympans. Autant s’attarder encore sur ce morceau, plutôt que sur les mots qui en ont encore trop dit.
Une fois de plus les mots des maux ont encore frappés. Cette fois, les maux ont surpassés le résultat probablement espéré. C’était pas le moment. Déjà les doutes depuis quelques temps. Aujourd’hui c’est peut être l’ultime qui frappe encore plus qu’on l’imagine.
Y’a pas à dire, cette chanson, elle est sublime.
Cependant même le son monté au maximum, ça évite pas les interrogations. La pensée s’évade et on ne peut la retenir, telle une prisonnière échappée de sa tour d’ivoire. Quelle tour ? Quelle cage dorée ? Tout n’est qu'apparat, tout n’est qu’insipide. Y’a pas un conte de fées dans les parages ? Ca ferait du bien de souffler, de respirer...
Replonger malgré soi dans ce qui est de plus bas, ce qui fait l’infortune, la ballade des gens malheureux, la complainte des gens heureux. Se dire qu’il faut du temps, prendre la patience et en faire son arme de défense. Se défendre sans être coupable, sans être même partie prenante, c’est bien le comble ! Encore une justification, encore devoir faire preuve, alors qu’on aspire simplement à une justice de cause plus vraie. Dire non à défendre l’indéfendable devient source de problèmes et d’injures.
Droit comme un I, l’autre devient ennemi. Il exhorte à laminer alors que la cause semblait juste au départ. Dire non, dans cet apprentissage, si peu aisé et tout prendre en pleine face. Vouloir alors, encore une fois, se recroqueviller sur soi, dresser des murs si hauts qu’on restera inatteignable, si hauts que personne ne pourra les franchir, et qu’on se sentira un peu protégé de tout ce qui fait mal. Mettre tout le monde dans le même lot, pour être sûre de n’en oublier aucun. Les mettre tous au même niveau, même si on sait que c’est une hérésie, et qu’on en fera rien.
Le froid s’intensifie, la pluie traverse les vêtements mouillés, vient transpercer la peau et glacer un peu plus les os, alors que la nuit commence à tomber. Si par miracle, ce soir, la fièvre n’est pas au rendez-vous alors c’est sûr, demain, elle viendra foudroyer et faire payer cette impudence de défier ainsi la météo. Ce défi de vengeance qu’on inflige à soi-même, juste parce qu’on ne peut pas le faire subir à qui l’on voudrait qu’il soit.
Monter encore le son. Cette fois il est au maximum. Façon comme une autre de se couper du monde. La playlist fait son œuvre. Après tout on l’a choisie… elle est idéale et correspond plutôt bien aux circonstances. Entre « Veiller tard », « This I love », « Le tunnel d’or », « La nuit je mens », « Acacias », « Carpathian Ridge », « There was a time », « Mad World » et « Madagascar », il y a de quoi faire en la matière..., manque plus que Programme et le tour est joué...
Le genou à terre, ne pas s'admettre vaincue. Etre abattue par cette balle qui a tracé sa trajectoire vers soi. Ne jamais l’avouer au sniper qui l’a tirée, ne jamais le reconnaître. Rester fière et se tenir campée, droite, sans montrer ses défaillances. Soutenir fixement le regard, offrant des yeux encore plus glacials que l'hiver de l'hiver... Tomber face contre le sol, le visage dans la boue. N’en laisser rien paraître et faire comme si, juste parce que ça serait leur donner trop de joie, leur laisser le goût doucereux du miel de ce qu’ils s'imaginent déjà être leur victoire. Faire encore face, se relevant juste pour ne pas donner raison quand la déraison a pris la place depuis si longtemps. Ne pas montrer qu’on est atteinte. Ne pas montrer qu’on est blessée. Jouer la comédie, juste pour ne pas assouvir la satisfaction de l’ennemi. C’est là que, sans vraiment savoir pourquoi, on se dit d’un coup qu’on est passé d’un « p’tit rien dans un monde de tout » à un « grand tout dans un monde de rien ».
Se remettre en question, une fois de plus. Se dire que malgré tout, ça n'est pas par hasard qu'on subit des attaques aussi fortes. Repartir au fond de soi, fouiller au plus profond de sa mémoire pour chercher l'erreur commise, celle qui aurait déclenché cette avalanche. Ne rien trouver. Passer méthodiquement en revue tous les événements et ne toujours pas comprendre. Alors finalement devoir se plier à une conclusion qui apporte un semblant de réponse aux doutes si présents. Peut-être qu'on est juste pas fait pour ça. Peut-être qu'on mérite ces foudres qui s'abattent sur soi. Après tout, ça irait bien de paire avec le reste. Peut-être qu'à trop vouloir de soi on demande trop aux autres. On choisit pas les bonnes personnes, c'est certain. On choisit pas non plus les bons chemins. Après tout, on aura peut-être jamais droit au paradis...
Continuer malgré soi, de se sentir responsable de la tâche à mener, celle qui nous incombe, qu’on a accepté. Se débattre parmi ces doutes si nombreux ces derniers temps, ces doutes auxquels on voudrait tant une réponse pour se rassurer. Ces doutes auxquels on voudrait tant échapper...
Marcher dans le froid humide et noir de décembre. Errer machinalement sans prendre garde au chemin que l'on parcourt. Plaquer ses mains sur ses oreilles comme pour s'imprégner de cette chanson encore et toujours. Qu'elle devienne obsédante et distrayante, qu'elle anihile toutes ces pensées ! Sentir le son augmenter encore d'un cran sans même l'avoir touché et se laisser submerger par ce morceau si prenant, si envahissant. Il devient le salut du présent. Celui auquel se raccrocher à ce moment. Qu'il vienne au secours et empêche de ressasser encore toute cette soumission !
Après tout le doute ne meure jamais… ça reste peut-être le mode de pensée, ça reste peut-être réservé à ceux dont on fait partie, ceux qui chanteront jamais la ballade des gens heureux mais qui seront toujours sensibles à celle des malheureux ou la complainte des gens heureux...
Et le couplet retentit encore plus fort et trouve un impact en moi, devenant viscéralement présent, bien plus encore que par le son, bien plus encore que par son rythme. Juste par cet indéfinissable qui prend et qui ne lache plus :
"I won't be told anymore
That I've been brought down in this storm
And left so far out from the shore
That I can't find my way back, my way anymore
No I won't be told anymore
That I've been brought back in this storm
And left so far out from the shore
That I can't find my way back, my way anymore
No, I..
No, I... "
Bordel, but I have a dream, me too !!!