Tous, tour à tour, nous nous posons des questions. La vie est un long fleuve tranquille ? Certes non mais nous nous y ennuierions si c’était le cas probablement. Toutefois, certains se posent plus de questions que d’autres. Certains se satisferont des aléas, passeront au travers des tempêtes sans trop faillir, sans trop être atteints. D’autres, plus sensibles à leur environnement, moins fatalistes aussi probablement, à force de lutter et s’acharner, seront réduits, bien plus entamés que les précédents. La sagesse serait certainement de relativiser, de prendre de la distance face aux événements afin de pouvoir évacuer les chocs sans trop en ressentir de dégâts internes.
Il y a ces questions dont nous redoutons la réponse, tellement elle peut nous tenir à cœur. Tous, nous avons connu ces moments d’angoisse, d’incertitude juste avant la réponse. Celle-ci se transforme alors juste en un couperet de guillotine qui s’abat implacablement ou en un soulagement extraordinaire, une bouffée d’oxygène. Cependant, il subsiste toujours des questions laissées sans réponse. Des interrogations qui, même si elles sont essentielles, se heurtent fatalement au silence. Dans cette alternative, les plus fatalistes s’en accommoderont ; les écorchés en conserveront une plaie.
Le souci que l’on rencontre le plus avec ce silence, c’est que les traces qu’il laisse ne permettent jamais d’arriver réellement à l’explication qui donne la possibilité de gérer la difficulté. Bien sûr c’est probablement ce que je suis en train de faire ici, me poser des questions… Quoi de plus aisé que de s’interpeller soi-même sur les sujets les plus sensibles lorsqu’un élément vient tout bousculer et replonger directement dans l’expectative, dans l’interrogation la plus totale ? Evidemment, on pourrait balayer d’un revers de main et avancer sans prendre en considération tous les paramètres. Seul souci dans l’histoire, c’est faire fie de l’entourage et ne pas considérer l’impact que l’on est susceptible d’avoir sur lui, jaugeant les éventuels dégâts que l’on peut causer soi-même et ceux que l’on peut subir dudit entourage. Tout cela n’est pas forcément clair. En effet, on a pu constater par un « effet papillon » que l’expérience acquise laisse des traces souvent insignifiantes sur notre comportement, cependant à l’instant T, les traces d’un événement qui nous sera émotionnellement majeur, peuvent devenir indélébiles. Reste alors à savoir si affronter une situation similaire s’avère possible en limitant « la casse ». Rien n’est moins sûr… Choisir la fuite est de toute évidence la solution qui s’imposera dans la situation puisqu’elle est inéluctable, même si c’est malgré soi. Rien n’est plus sûr ; rien n’est plus fatalement l’issue finale. On se retrouve face à l’interrogation ultime. Celle qui consiste à savoir comment faire passer le message, comment préparer à cette échéance puisqu’il n’y en a pas d’autre. Celle qui fait que l’on sait déjà qu’on sera bientôt seul coupable dans ce qui sera traduit très certainement comme de la lâcheté et qui pourtant, porte l’empreinte de plaies béantes si profondément ancrées en soi qu’on se sent déjà étouffé, là, tout de suite, dans cette pression d’un quelconque attachement. On a pas forcément le courage d’y mettre un terme immédiatement parce qu’on a envie de se sentir vivant malgré tout, parce qu’on a envie d’essayer d’aller plus loin, même si on sait déjà que c’est peine perdue, que probablement, c’est causer des dégâts aux tiers, égoïstement, que de ne pas tout stopper tout de suite, parce que les souvenirs, les visages, les mots, les maux sont désormais trop présents et trop nombreux pour qu’on puisse faire fie de tout cet impact. On essaye malgré cela, malgré cette impossibilité d’extérioriser normalement, malgré ces murs qu’on dresse en soi, malgré cette impression inéluctable d’avoir tellement perdu de soi qu’on a fini par franchir une étape ultime, celle qui fait qu’on se sent tellement mal seul, mais que ça reste toujours plus gérable que la pression d’une quelconque émotion, celle qui fait qu’on se sent bien dans le travail, qui a la chance de ne revêtir aucune implication émotionnelle claire, qui reste neutre, tout comme dans les rapports qu’on s’évertue à avoir avec l’entourage, tout aussi neutre et stable, là où la fadeur n’a rien d’un piment mais qu’elle garde l’avantage d’une stabilité rassurante, là où les rapports sont simples et basiques, sans questions particulières puisque sans impact particulier… A ne pas avoir pu se protéger de d’autres, à ne pas avoir su gérer les émotions, à ne toujours pas être en mesure de s’en protéger et d’encaisser chaque jour les manques, les questions, les silences et les souffrances, on sent à quel point maintenant, on ne sait pas faire autrement que de se protéger, de se blinder, même si aucun danger ne doit demeurer… Alors, derrière tout ça il reste encore la grande question, seule inconnue dans l’histoire : combien de temps avant ?