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24 août 2010 2 24 /08 /août /2010 12:05

Le jeune homme avait parcouru en hâte les derniers mètres qui le séparaient du palais. Lors de son périple, son fidèle destrier avait succombé au rythme effréné qu’il lui avait imposé, l’obligeant à finir son voyage seul. Il s’était délesté du superflu et même du nécessaire afin de s’assurer de n’être pas retardé. La pluie avait fini par traverser la mince protection que constituait sa toge de lin et son corps restait transi, glacé jusqu’aux os. Les semelles de ses sandales avaient, elles aussi, cédé au temps de ce parcours et ses pieds gardaient les stigmates douloureuses et sanglantes de ce périple. Ses cheveux blonds collés au visage, les cernes et le masque passif montraient tout autant son inquiétude que son épuisement. Il pénétra brusquement dans la grande salle du palais. Bien connu de tous, il avait franchi les barrages habituels de sécurité sans encombre et faisait maintenant résonner le manche de sa lance sur le magnifique dallage de marbre, troublant ainsi la quiétude de l’endroit.

Tout au fond de la grande salle, il distinguait le trône royal. Là, attendait déjà celle pour qui il avait fait ce déplacement, celle qu’il devrait informer des nouvelles. La reine, toute aussi blonde que lui, offrait un visage laiteux d’une telle douceur, qu’elle donnait à ses sujets un sentiment de confiance et d’apaisement.

« Reçois mes hommages ma reine, je viens ici t’annoncer de tristes nouvelles, dit le jeune homme en courbant la tête, s’agenouillant aux pieds de celle à qui il souhaitait montrer son respect.
- Que viens-tu donc nous apprendre espion, qu'il soit si urgent pour te présenter en haillon devant nous ?
- Je reviens du pays des Kaldices où ils se sont révoltés contre ton autorité. Ils ont érigé la pierre noire et un jeune fou a pris la direction des troupes qu’ils ont constitué pour venir nous anéantir, voulant se libérer du joug que nous leur imposons.
- Alors la guerre est déclarée et il faudra y faire face, conclut la jeune reine dans une phrase qui mettait fin à la conversation »

D’un coup, ses yeux si lumineux et si bleus s’étaient assombris et semblaient être à l’unisson avec les colères grises du ciel.

Il y avait maintenant vingt-quatre printemps qu’elle avait vu le jour et depuis que son père avait rendu son dernier souffle, trois hivers auparavant, elle avait repris dignement la succession royale, aspirant toujours à conduire son peuple sous de bons auspices. Certes, la nouvelle ne la surprenait pas ; elle s’y attendait. Le grand maître des astres lui avait déjà annoncé il y a quelques temps ; il l’avait lu dans les planètes. Elle s’était souvent demandé, déjà au moment de son initiation à sa condition royale, s’il était bien sage de conserver le joug si fort et si pressant sur cette population. Certes, les pères de ses pères avaient choisi d’imposer de tels sévices à l’encontre d’un peuple entier par souci de canaliser les plus sanglants et de protéger les innocents, mais cela faisait maintenant plus de 400 hivers que tout ceci s’était produit. Etait-il encore nécessaire d’imposer de telles conditions ? Cependant la décision de desserrer l’invasion et de rendre une autonomie contrôlée à ces terres ne pouvait être d’actualité. La rébellion qui s’annonçait allait entraîner bien des tourments, des colères et des victimes pour espérer un jour plus tempéré. Il faudrait attendre… mais avant cela il fallait se préparer.

Décidée, Esmildak se leva et quitta le trône qu’elle occupait jusqu’alors. Donnant quelques ordres rapides, d’une voix douce et tempérée qui trompait sur ses craintes et ses tourments, elle fit rassembler les populaces et généraux pour le moment où le soleil rougeoierait. Là, sur la grande place des oracles, elle rendrait sa décision et proclamerait la conduite que son peuple tiendrait dans ce triste épisode. Les servantes s’activaient autour de la jeune reine qui avait rejoint ses appartements. Prestement, elle se dégagea de sa longue toge et se plongea dans le bain bienfaiteur et laiteux comme sa peau, que les demoiselles de sa cour avaient préparé à son intention. Toutes, prêtes à répondre aux moindres exigences de leur reine, l’observaient discrètement et patientaient. La jeune femme conservait le regard sombre qui ne l’avait plus quitté depuis que l’espion s’était éclipsé du palais. Elle restait pensive et ne prononçait guère plus de deux mots pour passer un ordre. Une fois sortie de son bain, elle se sécha rapidement et revêtit une toge blanche de lin qui la faisait ressembler à une nymphe. Sa beauté était incontestable et personne n’eût soupçonné, en cette frêle jeune femme, de voir un chef d’état si prompt à prendre les décisions les plus dures et les plus catégoriques pour le bien de son peuple.

Alors que les demoiselles de la cour allaient s’éclipser, pensant leur tâche terminée, Esmildak les retint.
« Non ! Ce n’est pas fini, clama t-elle. Je dois prendre mon armure de cuir sur ma toge. L’heure est à la guerre, ma décision est prise et je dois porter l’emblème de celle-ci pour en faire l’annonce au peuple de Sambarda ».

Silencieusement, une jeune fille, encore plus frêle et plus fragile que sa souveraine, s’avança vers elle, la tenue demandée dans les bras. Alors, sans un mot, Esmildak se résigna et passa l’armure de cuir sur sa toge avant de se rendre par les longs couloirs de marbre vers la place des oracles où elle y ferait son discours dans peu de temps.

Passant devant le campus, elle ne put s’empêcher de jeter un regard de supplique vers la statue d’honneur érigée à la mémoire de son père. Il avait été un bon roi et s’était contenté de poursuivre l’expansion entreprise par ses pères, cependant personne ne pouvait deviner à quel point, là, à cet instant précis, Esmildak aurait échangé sa vie contre celle de ce roi disparu afin de n’avoir pas à prendre la décision à laquelle elle était contrainte. Rejoignant la place, alors que le soleil commençait à rougeoyer, elle s’installa bravement sur le balcon des discours pour informer son peuple. Là, les généraux, les commandants d’armées, les représentants des différentes contrées et les émissaires chargés de rejoindre les quatre coins du royaume afin d’informer l’ensemble des habitants, attendaient silencieusement, presque religieusement leur reine. Tous étaient avides d’écouter ses paroles et d’entendre la décision qui scellerait leur sort.

« Mon très cher peuple,

Nous devons nous préparer à la guerre. Voici 400 hivers que le royaume de Sambarda tenait les hommes des terres de Kaldice sous un joug nécessaire à notre sécurité mais leur révolte d'aujourd'hui doit être contenue. J’ai longtemps réfléchi à savoir si tout cela était encore utile mais le passé, le regard sur l’histoire nous a appris à nous méfier. Les violences contenues n’ont pas permis jusqu’alors à ce peuple de nous atteindre mais s’il devait en être autrement alors nous péririons.

Je vous le dis haut et fort, pour la liberté nous oppresserons encore ce peuple ! Au nom de la paix nous jouterons et gagnerons la guerre qu’ils nous déclarent ! Pour la vie nous étranglerons leurs enfants, asserviront les vieillards, égorgerons leurs femmes ! Notre main frappera à mort et nous éventrerons ces guerriers bélliqueux, jetant leurs entrailles aux bêtes féroces et sauvages, pour savourer notre victoire et montrant aux vivants notre force, notre foi en la paix et notre détermination.

Allez mon peuple vaillant, si plein de courage, armez vous et partez sur le champ rejoindre les rangs des combattants. Soyez certains de mon soutien et de mon propre combat. Je quitte le palais pour me battre aussi ».


La voix de la jeune femme, d’un coup, avait laissé tomber cette fatale décision. La douceur de son ton, la candeur de ses traits, donnaient un étrange contraste aux paroles terribles qu’elle avait alors prononcées et pourtant… la force de ses convictions avaient porté son peuple, transcendant la peur et l’horreur, convaincu de sa mission.

Il était maintenant l’heure. L'instant était grave et elle le savait… Esmildak rejoint rapidement le palais, ne prenant pas le temps de s’attarder auprès des siens afin de s’enquérir de leur bien-être, comme à son habitude. Elle devait se préparer et rejoindre ses généraux. C’était décidé ; elle mènerait la tête du convoi, elle avait conduit son peuple vers la guerre, elle assumerait de la faire aussi.

 

 

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Présentation

  • : Le blog de Tibou
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Parfaite dans mon imperfection.
Je reste un ptit rien dans un monde de tout...

Dans le feu de la vie jusqu'au bout du noir de la nuit, se laisser prendre par ce silence assourdissant. Fermer les yeux et entendre enfin les notes de musique qui viennent envahir l'être, le faisant vibrer jusqu'à ce que son âme se mette à nue, offrande de la pensée. Carpe diem...



Place à l'écriture, à la délectation des mots, à l'expiation des maux, à la musique qui leur donne vie et aux sentiments qui s'en font muses, puisque... tu parles, tu parles c'est facile, même sans y penser...


              

Si j'avais su te dire

Sous les écailles grises
d' une coquille d' huître
dort une perle de nacre.
Et la mer se retire,
affleure les récifs
d' une barrière de corail.

Si j' avais su te dire...


A quoi bon l' immortelle?
cette fleur tout à fait morte
dont les pétales fanés
se dessèchent sous un globe.
Je préfère l' éphémère
dont le vol argenté
me rappelle à jamais
un éternel été.

Si j' avais su te dire...


Les mots se dissimulent,
les lettres se minusculent,
dans l' espoir d' une virgule.
En suspension.
Sous perfusion.
Trois petits points de suspension.


Mais voici déjà l' heure
où les ombres s' allongent,
où le mystère émerge
du pays des mensonges.
quand la lame de fond
des souvenirs remonte.
Où trouver l' élégance
de garder le silence?

Si j' avais su te dire...


Les mots se dissimulent,
les lettres se minusculent,
dans l' espoir d'une virgule.

En suspension.
Sous perfusion.
Trois petits points de suspension.


Et quelqu' un reprendra
cette chanson pour toi
avec des mots plus forts,
avec des mots plus justes.
Chanter à ta mesure,
ce que je n' ai jamais su.
Mais je n' ai jamais su
chanter à ta mesure.

Marc Seberg 

Veiller tard

Les lueurs immobiles d'un jour qui s'achève.
La plainte douloureuse d'un chien qui aboie,
le silence inquiétant qui précède les rêves
quand le monde disparu, l'on est face à soi.

Les frissons où l'amour et l'automne s'emmêlent,
Le noir où s'engloutissent notre foi, nos lois,
Cette inquiétude sourde qui coule dans nos veines
Qui nous saisit même après les plus grandes joies.

Ces visages oubliés qui reviennent à la charge,
Ces étreintes qu'en rêve on peut vivre 100 fois,
Ces raisons-là qui font que nos raisons sont vaines,
Ces choses au fond de nous qui nous font veiller tard.

Ces paroles enfermées que l'on n'a pas pu dire,
Ces regards insistants que l'on n'a pas compris,
Ces appels évidents, ces lueurs tardives,
Ces morsures aux regrets qui se livrent la nuit.

Ces solitudes dignes du milieu des silences,
Ces larmes si paisibles qui coulent inexpliquées,
Ces ambitions passées mais auxquelles on repense
Comme un vieux coffre plein de vieux joués cassés.

Ces liens que l'on sécrète et qui joignent les être
Ces désirs évadés qui nous feront aimer,
Ces raisons-là qui font que nos raisons sont vaines,
Ces choses au fond de nous qui nous font veiller tard

 

J-J. Goldman

Des humeurs en images


Version intimiste "des bêtises" E. Fregé

 "Madagascar" - Guns n'roses

Ces raisons là qui font que nos raisons sont
vaines. Ces choses au fond de nous qui nous
font veiller tard...


"Acacia" - Julien Doré

Malgré tout, je vais bien ne t'en fais pas...

Confidence pour confidence - J. Schultheis


Damien Rice & the blower's daughter

Un petit clin d'oeil ;-)

Heu... I will pas survive de cette façon hein !

Naturally 7 en live dans le métro à Paris


"Lemon tree" - Fools Garden : j'adore !


L'aigle noir de Barbara...

Yngwie Malmsteen & The New Orchestra of Japan

A écouter encore et encore, sans modération !

Les mots bleus - Christophe / J. M. Jarre

Les paradis perdus - Christophe

On dirait... Le Sud - N. Ferrer